Franco-Malgache


C’est amusant. J’avais déjà cet article en tête depuis un certain temps et comme par « hasard » je vois la vidéo d’une personne qui exprime sa sensation sur le fait, justement, d’être Franco-Malgache. Mais là où l’amusement fût à son paroxysme, c’est que l’avis de cette personne était en fait totalement contraire au mien. Il expliquait dans sa vidéo que de par son expérience, il ne parlait pas malgache et il n’était pas forcément accepté comme il le voudrait en France, par conséquent, il ne se sentait ni Malgache ni Français. Dans chacun des deux pays où il allait, il ne parvenait pas à trouver véritablement sa place. Ce que finalement, je comprenais tout à fait. Car ne pas avoir de racines auxquelles nous pourrions un tant soit peu nous raccrocher, c’est en quelque sorte être une coquille vide d’origine, vide d’un héritage qui habituellement nous fait comprendre pourquoi nous sommes là, à cet endroit, à cet instant. Parce que nos racines, c’est notre histoire et notre histoire, c’est notre identité. Voilà pourquoi le déracinement peut avoir des conséquences sur la personne qui ne sont pas négligeables. La perte de repères, la perte du sens (pourquoi sommes-nous ici?) et évidemment la nostalgie de ce que nous possédions, de notre vécu sont autant d’éléments qui peuvent briser l’âme. Néanmoins, revenons-en à mon point de vue. Ma divergence avec ce point de vue, qu’encore une fois je peux comprendre, est une vision plus positive de la chose. En effet, pour moi, c’est à la fois simple et complexe, je me sens 100% Français… Et 100% Malgache.

Je sais que le sujet peut être clivant. Je vais malgré tout tenter de faire part de mon ressenti au travers de mon expérience et de ma connaissance qui, si elle est évidemment incomplète, pourra peut-être parler à certains d’entre vous.

Un peu de mon histoire

Moi, je suis né en France de mes parents qui étaient venus en France pour pouvoir continuer leurs études et par la suite travailler. Ce sont donc eux qui ont eu la lourde tâche de me transmettre la culture de ce pays où ils avaient à l’époque vécu toute leur vie. J’ai donc vécu toute ma vie de Malgache par procuration, et encore aujourd’hui, c’est le cas. Je ne vis pas à Madagascar actuellement et ma connaissance du pays est donc basée sur un nombre de voyages qui se comptent sur les doigts de la main et tout ce que j’ai pu en voir au travers de la culture exportée (famille, objets, nourriture, vidéos, livres …). Cela paraît donc bien maigre pour se sentir 100% Malgache, non ? Et il est vrai que certains pourraient y voir une non-légitimité à ce sentiment d’appartenance pour un pays qui de prime abord, nous semble inconnu.

En tout cas, j’ai vécu avec ma famille toute ma vie en France et c’est avec ce postulat que je me suis imprégné de la vie dans ce pays.

Alors, Malgache ou pas ?

Quand bien même je n’ai pas vécu à Madagascar, j’éprouve tout de même un sentiment d’appartenance profond pour ce pays qui est celui de mes origines. Alors oui, l’enracinement commence toujours par des éléments qui au premier regard, nous semblent simples. Et surtout lorsque nous sommes enfants. En effet, notre vision est biaisée par l’image que nous avons du pays pendant les vacances que nous passons, nourris par des clichés aussi iconiques que le Bonbon Anglais, les masikita ou les grandes rencontres familiales. Et c’est vrai aussi que mon amour est en partie basé sur ces choses-là. Cela, je ne peux le nier. Néanmoins, avec la vision d’adulte qui étend le périmètre visible, il n’est plus possible d’aimer un pays uniquement que par ces plaisirs qui nourrissent notre chair. C’est par conséquent, tout entier que nous l’embrassons, tout entier que nous le prenons.

Un conseil d’ami: toujours prendre le bonbon anglais dans une bouteille en verre. Le goût est inégalable.

Bien sûr, je connais les problèmes inhérents à mon pays qu’est Madagascar. Bien sûr, je suis exaspéré par ce qui se passe et parfois fatigué de voir les Hommes toujours répéter les mêmes erreurs dans leur ignominie. Bien sûr que j’assiste, de loin, à cette déchéance quotidienne. Et pourtant. Rien de tout cela ne parviendra à effacer ce sentiment d’appartenance ancré au plus profond de moi. J’aime Madagascar et je l’aime en tant que Malgache.

Et de mon point de vue, ce sentiment est loin d’être irrationnel. Mes parents m’ont transmis l’héritage qu’ils avaient en eux et c’est par leur prisme finalement que j’ai appris à connaître ce pays qui est au fur et à mesure des années devenu le mien de par ce que j’en ai vu mais également de ce que ma famille toute entière a vécu là-bas. Ainsi, je suis devenu au fil des années l’héritier de l’histoire de ma famille, mais également de mon pays, aussi loin puis-je être de celui-ci. C’est pourquoi l’attachement à celui-ci me paraît logique.

Et je ne peux nier que j’aime beaucoup ce que la culture malgache a pu m’apporter. J’aime la cuisine malgache. Simple, familiale mais inventive (et optionnellement de par la conjecture essentiellement basée sur le circuit court et local dans le pays), elle parvient à sublimer chaque cuillère par la force de cette simplicité régressive. Etrangement, j’aime l’atmosphère qui se dégage de la capitale, les marchés en masse, le désordre ordonné, les ruelles surplombant la ville, les couleurs chaleureuses des bâtiments, Analakely, le Rova. J’aime également les paysages de Madagascar, ses hauts-plateaux et ses immenses vallées à perte de vue, ses rizières qui jonchent les routes, son océan d’un bleu turquoise, ses reliefs rocailleux, sa terre ocre. J’aime les longs voyages inconfortables mais sans cesse récompensés par la vision de l’immensité d’un pays. J’aime les excursions dans la campagne profonde où la route semble se perdre dans la terre. J’aime les vieilles musiques que mes parents écoutaient, plaisir coupable mais empreint de nostalgie. J’aime les anecdotes étranges que ma famille me raconte, peu importe qu’elles furent vraies ou fausses. J’aime l’histoire de mon pays, même si j’aimerais mieux la connaître. Bref, j’aime Madagascar.

Une atmosphère particulière se dégage des rues à Madagascar.

Et je ne pense pas être le seul Malgache qui aime réellement Madagascar. Logique, me direz-vous. Néanmoins, il suffit de voir jusqu’où certaines personnes peuvent aller pour le pays via des initiatives comme SAYNA ou le 67 City FC (club de football) qui ont montré qu’il était possible d’avoir des structures viables à la croissance et l’accompagnement de personnes qui sans elles auraient peut-être erré sans but, dans un pays où justement, les conditions ne sont globalement pas propices à un tel développement.

Alors, je ne dis pas que c’est le chemin à suivre. De toute manière, chacun à son échelle agit comme il le peut et l’entend, selon ses moyens. Il s’agit ici plutôt de montrer à quel point un amour peut être démesuré et à quel point il est capable de s’affranchir des limites pour finalement nous élever.

Et la France, alors ?

La France, c’est le pays où je suis né. C’est le pays où j’ai vécu. C’est le pays qui m’a enseigné. C’est le pays qui m’a élevé. Concrètement toute ma vie a été imprégnée par la culture française. Et encore une fois, c’est parce que mes parents n’ont jamais été fermés à cette culture. C’est peut-être stéréotypé mais c’est par la gastronomie que j’ai commencé à être initié, ce qui peut paraître amusant. Mes parents cuisinaient souvent des plats français et, privilège que j’ai pu avoir, nous allions souvent au restaurant (je collectionne d’ailleurs les cartes de tous les restaurants où j’ai eu l’occasion de manger, petit plaisir de bourgeois que je suis). Point commun à mon initiation aux deux cultures par conséquent, la nourriture m’a, enfant, donné l’amour des deux cultures. Mais comme je l’ai dit pour Madagascar, notre évolution fait que nous étendons notre vision et que nous finissons par voir les défauts et les faiblesses de ce que nous avons tant aimé.

Le foie gras, c’est français, c’est cher mais c’est excellent.

Malgré tout, il y a une multitude de choses que j’aime dans la France. J’aime tout d’abord la langue française. Sa richesse, sa nuance, sa complexité. M’exprimer avec une précision d’orfèvre d’une manière unique, écrire, narrer, chanter. La langue française est poétique. La langue française est onirique. La langue française est historique. J’aime aussi son histoire car celle-ci met en avant à la fois ce que l’Homme a de plus grand et ce que l’Homme a de plus bas. Ses monuments, ses églises, ses châteaux, ses palais, ses œuvres d’arts, ses peintures, ses sculptures, sa musique classique, ses rois, ses empereurs, ses guerres, ses atrocités. Tout cela fait la France. Mais quelque part, toutes ces choses, j’ai fini par me les approprier. Parce que, finalement, la France est aussi mon pays.

Maurice Ravel était un compositeur français incroyable qui inspire encore de nombreux compositeurs actuels.

Et comme beaucoup de Malgaches aiment Madagascar, beaucoup de Français aiment la France. Combien d’initiatives pour défendre le savoir-faire, l’artisanat ou la gastronomie française vois-je quotidiennement ? Il y en a tellement qu’il m’est impossible de compter. Alors oui, évidemment, toutes ne vont pas aller durer sur du long terme toutefois cela démontre bien d’une réelle volonté, un réel amour sur ce qu’est le pays français. Beaucoup de gens veulent défendre ce patrimoine et les moyens aidant, ils n’hésitent pas à se lancer.

Néanmoins, comme Madagascar, la France est un pays qui accumule de nombreux problèmes. Des citations comme « le pouvoir corrompt » ont leur place dans ce pays, comme dans tous les pays d’ailleurs. Et c’est harassant de penser que tout pourrait aller bien mais que ce n’est pas le cas. Une forme de frustration m’envahit souvent lorsque je pense à ce que le pays est aujourd’hui même si la situation n’est pas catastrophique. Malgré tout, cela ne cesse de se dégrader, et j’ai personnellement du mal à voir où le pays va aller.

Néanmoins, comme Madagascar, je ne peux m’empêcher d’aimer la France comme mon pays. Je la prends telle qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts et cette identité fait que je la reconnais et que je l’apprécie.

Comment vivre avec une double appartenance ?

Pour moi, un élément important doit être clarifié. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », aphorisme du philosophe Blaise Pascal, explique que le sentiment et l’émotion peuvent nous donner une attirance pour tout élément sans qu’il y ait nécessairement une justification. L’amour, le vrai, est toujours désintéressé. Nous ne décidons pas de ce que nous allons aimer ou pas et seul le cœur, peut venir trancher. C’est pourquoi, nous ne décidons pas non plus de ce sentiment d’appartenance à un ou plusieurs pays. C’est pourquoi je me sens autant Français que Malgache.

Par ailleurs, cela peut s’exprimer par de nombreux biais. Un soutien à des personnes ou des entités de la nationalité du pays en question dans divers domaines comme le sport (Bareas, Equipe de France), évidemment, ou des accomplissements variés qui peuvent susciter l’enthousiasme (SAYNA, Thomas Pesquet… ). Cela peut nous émouvoir, parfois plus que de raison et provoquer des joies intenses en nous comme de grandes déceptions. Parce que c’est l’impression d’avoir pris part à ces œuvres qui nous mène à éprouver ce genre de sensations. Nous sommes une partie intégrante de ce que notre pays réalise et c’est pourquoi certains peuvent aller jusqu’à avoir ce genre d’émotions. C’est aussi pourquoi certains peuvent aller jusqu’à se sacrifier pour lui.

Le sport est un des exemples de notre appartenance à un pays, que nous soyons supporter ou joueur.

Tous ces comportements, originellement inexplicables, possèdent tout de même une partie de l’ordre de l’explicable. Nos influences, notre environnement, notre caractère, tout cela nourrit notre identité et certains de nous ont ces cultures très fortement ancrées en eux, à un tel point que cela peut devenir viscéral. Et cela n’est en soi, ni une bonne, ni une mauvaise chose. Elle est, et par sa force, va nous guider dans une direction. La culture d’un pays peut ainsi nous habiter et être une part de nous. Certains vont vouloir agir pour le pays tandis que d’autres vont simplement répondre aux stéréotypes associés au pays malgré eux (arriver en retard, …). D’autres vont s’amouracher de l’identité de leur pays et d’autres vont la faire évoluer. Certains vont la défendre et d’autres vont s’en détacher. Nous sommes tous différents et nous avons tous nos affinités. C’est cela qui fait que nous avons notre propre sensibilité et qui nous montrera la direction vers laquelle nous devrions aller.

En tout cas, force est de constater que j’aime Madagascar. Tout comme la France. Je ne suis ni l’un ni l’autre mais je suis les deux à la fois. Et quelque part, c’est un état de fait qui n’est pas facile à assumer. Parce que je me sens garant des deux cultures tandis qu’aucune des deux cultures n’a l’exclusivité en moi. Par conséquent je ne suis pas non plus totalement l’une ou l’autre. Et c’est pour cela que je comprends la personne dont je parlais plus haut. Moi-même, j’ai déjà vécu des rejets catégoriques des deux côtés et ce n’est pas évident à vivre, soyons d’accord. Pourtant, je n’ai aucun ressentiment à l’encontre de ces personnes. D’une, je pense plus à une forme d’ignorance qu’à ce que nous pourrions appeler « racisme » (un malgache qui a des émotions négatives envers un autre malgache ne peut pas être considéré comme du racisme pourtant dans ce cas là le traitement subi est semblable). Et de deux, je vois le pays dans sa globalité et, je veux penser que la majorité accepte tout de même ce caractère de double nationalité. Après tout, nous sommes ce que nous sommes.

Conclusion

Quand nous parlons de nationalisme, souvent, la définition ne se prête qu’à un seul pays. Mais quid justement, de ces personnes comme moi qui ont fini au gré du temps par s’attacher à plusieurs pays parce qu’ils se sont enracinés au travers de plusieurs cultures ? Je n’ai pas choisi d’aimer la France ou Madagascar. Mais il est pourtant clair que ces deux pays sont imprégnés profondément dans mon cœur. Peut-être bien que mon âme n’est pas suffisante pour assimiler deux cultures à la fois. Peut-être bien qu’avoir mon esprit à deux endroits à la fois ne me rend pas légitime à être Français ou Malgache. Peut-être bien. Peut-être bien. Mais malgré tout, c’est mon identité et jamais dans ma vie je ne l’ai considéré comme un poids. Mon identité, c’est ce qui me fait, c’est ce qui me guide, c’est mon essence-même. Mon identité est française. Mon identité est malgache. Bref, je suis Franco-Malgache.

Nous sommes ce que nous sommes.

Mais prend du recul sur toi-même.

Qui es-tu vraiment ?

Réfléchis au prochain pas.

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